La Futuwah, l’esprit de la chevalerie était loin de se réduire à une éthique militaire. Au contraire, elle est un ensemble de traditions, coutumes et pratiques qui constituaient le code de la vie chevaleresque musulmane au Moyen Âge. Elle s’entendait avant tout au sens spirituel et éthique. La Futuwah amène l’Homme à suivre la noble voie du service divin ; elle forme le sommet de la démarche soufie. Cet article est composé sur la base des grands classiques de la Futuwah dont celui Abu al Rahman Al- Sulamî et celui de Faouzi Skali.
Qu’est ce que la futuwah
Dans le soufisme le terme « futuwah » renvoie à l’idée d’excellence ou noblesse du comportement selon le Hadith du Prophète (que la paix soit sur lui ) : « J’ai été envoyé pour parfaire la noblesse du comportement. »
Le mot ”Futuwah” dérive du mot arabe “fata”(فتى), qui désigne dans le Coran, un jeune homme dans la force de l’âge, qui possède la vigueur juvénile et la maturité spirituelle. Dans le Coran, le terme « fata » fût employé à propos d’Abraham (Ibrahim, que la paix soit sur lui), encore jeune. Le “fata” possède une liberté et une jeunesse de l’âme, des qualités viriles marquées par un comportement de générosité outrancière, de courage et un esprit de sacrifice. L’état de jeunesse “fata” étant celui des élus du Paradis : les victorieux. Lors d’une entrevue célèbre Junayd, entouré d’autres spirituels, demanda à Abu Hafs ce qu’était la Futuwah :
[quotes class= »none »] »Répondez vous-même,dit Abu Hafs, vous êtes aidés par l’expression et le langage. » Junayd dit alors : « Pour moi la Futuwah consiste à abolir la vision du moi de l’égo et rompre tous les liens de considération sociale autre que la relation directe avec Dieu. » »Ce que vous dites là est très beau, répondit Abu Hafs, mais pour moi la Futuwah consiste surtout à agir avec droiture et à ne pas exiger d’autrui d’en faire autant. » A cette réponse Junayd demanda à tous ses compagnons de se lever car, selon lui, Abu Hafs venait de donner de la Futuwah une définition insurpassable.[/quotes]
La Futuwah est une voie réalisation, de “rapprochement” de Dieu, par le service qu’on donne de préférence à autrui sur nous même, un service d’amour, c’est là le “ithar” (fait de préférer autrui à soi-même).
Selon Qushayri « le Fata est celui qui ne fait aucune discrimination, dans son hospitalité, entre un saint ou un incroyant ».
Umar Suhrawardi fera dériver la Futuwah du mot “Fatwa”. Dans un sens large, ce terme se rapporte à la question de savoir quel est le comportement adéquat, conforme à la loi divine.
La Futuwah est donc un double aspect, une réalité spirituelle et un mode de comportement éthique, l’Homme intérieur et extérieur.
Pour ibn ‘Arabi, le Prophète Mohammed (que la paix soit sur lui) est le modèle par excellence du bon comportement, une attitude d’humilité, de servitude qui s’accompagne aux plus hauts degrés spirituels, ainsi que de la plus haute proximité de Dieu. Le prototype de cette réalisation du Prophète est symbolisé par le voyage nocturne qui allait le conduire jusqu’au plus haut degré de la Proximité divine, au septième ciel. Selon ibn ‘Arabi le Futuwah est symboliquement le troisième ciel de ce voyage, en tant qu’ordre de souveraineté et de justice, symbolisée par l’épée de combat pour la foi. Il s’agit d’un combat contre soi-même pour le rétablissement de sa nature essentielle, celle de la jeunesse intemporelle de l’âme du “fata”.
Nuh ‘al’ Ayyar, nous donne sa définition de la “Futuwah“ : « La mienne consiste à ôter l’habit du siècle, à revêtir l’habit des soufis, puis à faire toutes les actions qui conviennent à ce vêtement dans l’espoir de devenir soufi et de me défaire de mes péchés de par le sentiment de pudeur révérencielle que j’éprouverai alors devant Dieu. Quand à toi, ta Futuwah consiste à te défaire de l’habit du soufi que les gens ne se mettent à ton service en étant trompés par ton apparence. La Futuwah telle que je l’entends, c’est la stricte observance de la loi religieuse ; telle que tu l’entends, c’est l’obéissance à la voix intérieure. »
Le symbole du chevalier :
L’idée du chevalier est un élément de la culture universelle et un type supérieur d’humanité. La chevalerie est un refus de la corruption. C’est un symbole intériorisé, il concerne la lutte spirituelle. Le chevalier est le maître de sa monture, celle-ci pouvant être, outre son cheval, son moi, son âme, au service du Roi, le dévouement à la dame élue. Tout aspirant au soufisme serait alors aspirant à la chevalerie. Le chevalier n’est pas souverain, il est servant. Il se réalise dans l’action pour une grande cause. Pourtant il y a des chevaliers qui s’érigent en souverains, défenseurs de leur propre territoire, leur propre trésor, leurs propres visions, ici on peu retrouver l’esprit des confréries. La chevalerie donne un code d’honneur à la guerre, à l’amour et à la mort. Le chevalier se sacrifie jusqu’à la mort. Il lutte contre les forces du mal .Le chevalier est l’image de ce qu’un homme peut devenir, de celui que l’on désire, celui sur le coeur duquel on souhaite se reposer.
Le chevalier désigne aussi certaines espèces d’ oiseaux et de poissons. Le poisson vivant dans l’eau, qui est l’essence de la vie et de la purification. Il représente la sagesse, le mysticisme, remontant des profondeurs.
L’oiseau lui est symbole de la connaissance spirituelle, des états spirituels et de l’élévation, dans le vol, ce vol entre terre et ciel, le bas et le haut, le bas-monde et le royaume céleste. Le chant de l’oiseau, est lui le chant de l’amour pour le Créateur, Son rappel, Son invocation.
Les femmes et la futuwah:
Parmi les femmes éminentes, il nous faut mentionner Karima de Merw (morte en 1070). Elle est d’après Massignon, à mettre en relation avec la “futuwah féminine“ telle que l’aurait fondée Khadidja al-Djahniyya (morte en 1067), manifestement en tant que communauté parallèle aux institutions corporatistes masculines. Les futuwah, était des confréries qui défendaient les idéaux d’une authentique virilité et liées à une observance des plus rigoureuse des offices divins, et on découvre que la femme aussi pouvait suivre la futuwah et y avait sa place.